Montreal vigil Benoit Charette

Taxer de « haineuse » la foule rassemblée pour la vigile de Montréal est une effronterie

Après qu’un ministre québécois ait été hué à la vigile de vendredi pour les victimes de l’attentat de London, les mêmes que d’habitude se sont complus dans le «tone policing.»

Translated by Pascale Cormier

Lors de la vigile organisée à Montréal la semaine dernière pour honorer la vie de la famille Afzaal, fauchée à London, en Ontario, par un terroriste, le ministre québécois responsable de la lutte contre le racisme, Benoît Charette, a été hué pendant plusieurs minutes au moment de son intervention.

Il va sans dire que Benoît Charette n’a pas été hué en raison de sa personnalité, ou de ce qu’il a fait ou omis de faire personnellement pour la communauté musulmane, mais à cause de ce qu’il représentait dans ce contexte : un gouvernement qui continue de nier obstinément l’existence du racisme systémique malgré toutes les preuves du contraire, un gouvernement qui refuse de reconnaître l’islamophobie, un gouvernement ayant fait adopter une loi qui a placé encore plus de cibles dans le dos des musulmans.

Bien que je félicite le ministre d’avoir fait le déplacement, il devait bien se douter qu’il se trouvait en terrain hostile. Trois générations d’une famille entière venaient d’être assassinées de sang-froid, laissant derrière elles un jeune garçon désormais seul au monde, uniquement parce que ces pauvres gens étaient musulmans. On peut comprendre que les nerfs aient été à vif et l’émotion à son comble. On n’en voudra donc pas à la communauté d’avoir montré peu d’indulgence envers la vacuité du geste, même si le ministre Charette était animé de bonnes intentions.

La Loi 21 doit être débattue

vigile Montréal Benoît Charette
Benoît Charette et François Legault

Depuis qu’elle est au pouvoir, la CAQ n’a absolument rien fait pour réduire l’intolérance et la méfiance envers les musulmans. Au contraire, elle a promulgué des lois qui ont obligé les membres de la communauté musulmane à passer un temps fou à se défendre, et à défendre leurs choix, ce qui a amplifié le préjugé, au sein de la population, voulant que les minorités religieuses soient ces « autres » qui font constamment obstacle à l’homogénéité de la société. Voilà qui ne favorise guère l’harmonie sociale.

Le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure du Québec n’a sans doute pas eu le choix de maintenir la Loi 21 dans le cadre de la dernière contestation judiciaire, en raison de la clause dérogatoire, mais il n’a pas hésité à conclure que cette loi a des répercussions graves et négatives sur les personnes qui portent des symboles religieux, qu’elle déshumanise les personnes visées, et qu’elle a des conséquences désastreuses pour les femmes musulmanes en particulier.

Bien entendu, il n’existe pas de lien direct de cause à effet entre la Loi 21 du Québec et l’attentat meurtrier de London. Néanmoins, que cette loi soit examinée et analysée dans le contexte plus large du débat national en cours sur les causes de l’islamophobie rampante au Canada, et sur ses conséquences pour la communauté musulmane, cela tombe sous le sens. Le Québec fait partie du Canada, lui aussi. Et le Canada a un réel problème d’islamophobie.

Les huées n’ont pas retenti qu’au Québec

Les chroniqueurs de Quebecor et les autres commentateurs qui tentent de vous convaincre que les huées dirigées contre Benoît Charette étaient de la « haine anti-québécoise » (comme si les gens qui l’ont chahuté n’étaient pas aussi des Québécois) omettent commodément de vous dire que le tollé ne s’est pas limité au Québec. En Ontario, le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, a été hué parce que son parti avait voté contre une motion sur le racisme systémique et la discrimination religieuse en 2017. O’Toole était au nombre des 91 députés qui ont voté contre la motion visant à condamner l’islamophobie. Le premier ministre conservateur de l’Ontario, Doug Ford, a également été hué. On ne peut pas tweeter « La haine et l’islamophobie n’ont PAS leur place en Ontario » après l’attaque terroriste, tout en bloquant simultanément une motion de la députée libérale Mitzie Hunter demandant à l’Assemblée législative de condamner l’islamophobie à l’unanimité. Si vous parlez des deux côtés de la bouche, les gens vont le remarquer et vous interpeller. Or, personne n’a accusé ces manifestants d’être motivés par la « haine anti-ontarienne ».

Que des politiciens soient conspués pour des déclarations ou des comportements contradictoires, hypocrites ou décevants, ça n’a rien de nouveau. Stephen Harper a été hué in abstentia, il y a quelques années, après avoir refusé d’assister à un débat sur la condition féminine. Le Premier ministre Justin Trudeau a été hué et chahuté par des manifestants alors qu’il tentait d’expliquer comment il défendait l’environnement tout en approuvant le pipeline Kinder Morgan. L’ancien président américain Donald Trump a été conspué devant le cercueil de l’ancienne juge de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg. Pourquoi l’assistance aurait-elle dû se réjouir de voir un homme qui n’avait rien fait pour faire avancer les droits des femmes assister aux funérailles d’une femme qui, elle, avait passé sa vie à se battre pour eux ? Les gens ne sont pas idiots. Ils remarquent ce qui heurte leur sensibilité, et le fossé béant qui sépare souvent les paroles des actes.

Les gestes symboliques qui ne sont pas suivis d’actions concrètes tombent à plat

Dans le même ordre d’idées, pourquoi des politiciens représentant des gouvernements qui nient l’islamophobie s’attendraient-ils à être accueillis en héros quand ils assistent à une veillée organisée pour pleurer les victimes d’une haine dont ils réfutent précisément l’existence? Les gestes symboliques de commisération sonnent creux pour une foule qui pleure des victimes innocentes et s’inquiète de la sécurité de ses proches, une foule qui se sent marginalisée et ignorée, une communauté traumatisée une fois de plus qui, il y a quelques années seulement, pleurait six musulmans abattus et de nombreux autres blessés lors de l’attaque de la mosquée de Québec. Honnir et moquer les politiciens qui disent une chose tout en en faisant une autre est normal, cathartique, et représente une forme de liberté d’expression. Et ce que cet exercice de la liberté d’expression signifie, en l’occurrence, c’est : « Nous ne vous croyons pas. »

Il est vrai que le Canada anglais est souvent prompt à s’en prendre au Québec, et à faire croire que ce qui se passe dans cette province est motivé par le racisme et l’intolérance. Il est tout aussi exact que des politiciens et des pontes du Québec évitent ou détournent les critiques légitimes et les débats nécessaires en les qualifiant de « Quebec bashing ». La pire chose à faire est d’ignorer la légitimité des conversations que nous devons avoir sur les effets néfastes de la Loi 21, simplement parce que certaines personnes s’y objectent avec mauvaise foi tandis que d’autres en profitent pour dénigrer le Québec.

Les partisans de la Loi 21 sont tout à fait libres de la défendre, mais ils doivent aussi reconnaître certains faits irréfutables. Les témoignages d’experts pendant le procès ont conclu que cette mesure législative avait entraîné une augmentation des préjugés envers ces groupes sociaux, et des conséquences déplorables pour les personnes qui en font partie. Un sondage réalisé par Léger Marketing a montré un lien direct entre l’appui à la Loi 21 et la perception négative des musulmans. Les sentiments hostiles à l’égard de l’Islam se sont, en fait, révélés être la principale motivation derrière cet appui. Un pic d’activités à caractère haineux a été signalé aux groupes de défense des droits de la personne depuis l’entrée en vigueur de la Loi 21. On ne peut nier que cette loi a eu de douloureuses répercussions sur de nombreuses vies.

Une loi promulguée par l’État qui cible et marginalise délibérément ou indirectement les minorités religieuses n’est peut-être pas en soi responsable des crimes de haine, mais elle est de nature à accroître l’intolérance. Comme l’écrit Jaiya John, écrivain et docteur en psychologie sociale, « vous n’êtes pas responsable de qui boit à votre fontaine, de la quantité qu’on y boit ou de ce qu’on fait de cette boisson. Mais ce que vous y versez, cela vous incombe entièrement. » Les personnes ciblées ont le droit de vouloir identifier les sources de la haine et de la radicalisation, et de remettre en question tout ce qui pourrait inciter les gens à adopter des comportements haineux. Ce sont là des raisons parfaitement légitimes d’exiger, sans chercher pour autant à dénigrer le Québec, que la loi fasse l’objet d’un examen approfondi, au lendemain d’une attaque terroriste motivée par la haine.

Les membres de la communauté musulmane du Canada sont terrifiés et endeuillés en ce moment. Une famille innocente a été assassinée de sang-froid à cause de la haine et de l’intolérance. Il est pour le moins malvenu de leur faire reproche de leur attitude ou du ton de leurs propos. Ils veulent l’assurance que les autorités ne se contenteront pas de reconnaître que nous avons un problème, mais qu’elles feront tout en leur pouvoir pour le régler. Et tant qu’ils n’en auront pas la preuve, ils ne seront pas intéressés à écouter les discours de politiciens appartenant à des gouvernements qui attisent les feux de l’islamophobie, et qui s’efforcent ensuite de mousser leur popularité en faisant mine de combattre l’incendie une fois qu’il est devenu incontrôlable. ■

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