Montréal Protéger le français langue française

Protéger le français au Québec sans l’instrumentaliser

A French translation of this week’s editorial.

Même en pleine pandémie, une des histoires qui a fait les manchettes au Québec la semaine dernière était un reportage du Journal de Montréal sur la langue parlée par les commis dans divers magasins du centre-ville de Montréal, qui soit avaient accueilli les clients en anglais, soit étaient incapables d’offrir un service en français.

Je pourrais me rebiffer en vous disant qu’en tant que Montréalaise de longue date, cela ne m’est jamais arrivé, mais je n’ai pas envie de m’engager dans une guerre  de chiffres et de multiplier les anecdotes. Pourquoi? Simplement parce que je crois qu’une entreprise incapable de fournir un service en français à ses clients, ne serait-elle que la seule dans son cas, est une entreprise de trop.

« Désolé, je ne parle pas français » n’est jamais une réplique acceptable dans une province francophone. J’ai l’impression que si on arrivait à sortir de l’interminable joute politique identitaire au Québec, quasi tout le monde, peu importe son camp linguistique, serait d’accord.

Cela dit, j’aimerais qu’on dispose de plus d’études scientifiques reposant sur une méthodologie plus rigoureuse. Veuillez me pardonner ma méfiance à l’égard des préjugés et du sensationnalisme, mais le Journal de Montréal appartient au même empire médiatique qui nous a apporté d’indémodables classiques du type « Tous les Québécois mangent Halal » et qui a créé une énorme controverse après avoir prétendu en 2017 — à tort — que deux mosquées montréalaises avaient demandé à un entrepreneur de retirer ses ouvrières d’un chantier situé à proximité. Ce journal est connu pour enflammer l’opinion publique en privilégiant l’hyperbole pour parler de langue et de religion.

Bien que je ne souhaite pas minimiser les conclusions de ce reportage, dans la mesure où elles dénotent un problème réel, bon nombre d’entre elles relèvent du journalisme d’embuscade. Le moment choisi pour remettre ce sujet à l’ordre du jour est de plus quelque peu suspect, compte tenu que le gouvernement de la CAQ se prépare à adopter une législation linguistique plus stricte.

Le sensationnalisme est vendeur mais ne règle rien

Doit-on s’inquiéter du fait que certains commerces du centre-ville semblent incapables d’offrir leurs services en français? Absolument! Mais pourquoi ce rapport s’attarde-t-il aux grandes surfaces, aux chaînes et aux bannières internationales? Le personnel de ces commerces du centre-ville est souvent composé de jeunes étudiants étrangers. Ce n’est à mon avis pas un hasard. À quelques rues ou arrondissements de là, je crois que les résultats de cette enquête auraient été bien différents.

C’est d’ailleurs la conclusion de la seconde partie de ce rapport d’enquête (que probablement peu de gens ont lu). C’est bien sûr la première partie du rapport qui intéresse les chroniqueurs et politiciens populistes. Les résultats de cette enquête sont-ils un indicateur précis d’un problème généralisé auquel il faut s’attaquer? Ne sont-ils pas plutôt le reflet de l’époque que nous traversons où les gérants des grandes surfaces et des boutiques des diverses chaînes ont du mal à trouver des employés, où bien des gens préfèrent le télétravail pour protéger leur santé, où les propriétaires tentent de survivre dans un centre-ville aux allures de ville fantôme? Le contexte est important.

Le contexte est toutefois un facteur négligeable quand on verse dans le sensationnalisme, une forme de journalisme qui sert ensuite sans fin de carburant aux habituels marchands de peur que sont ces commentateurs qui alimentent la division et les conflits en transformant tous les débats de société en crises. Cela leur est sans doute profitable, mais ça ne contribue en rien à la protection de la langue française.

Protéger intelligemment le français au Québec

J’adore vivre dans une ville multiculturelle et polyglotte. Et j’aime tout autant que le cœur et l’âme de Montréal soient francophones. Je veux que les clients de ses commerces soient accueillis et servis en français, quelle que soit leur langue maternelle ou d’usage. C’est fondamentalement ce qui nous distingue du reste du pays. Quand la pandémie sera derrière nous et que les touristes seront de retour, je sais bien que ce n’est pas notre capacité en rien exotique à parler l’anglais qui les aura attirés.

Cela dit, Montréal, surtout dans son centre-ville, n’est tout simplement pas comme le reste du Québec, et prétendre qu’elle l’est relève de la mauvaise foi. Dans une ville dont la majorité des résidents bilingues et trilingues ont un ou deux parents nés à l’étranger, dans une ville qui accueille tous les nouveaux immigrants du Québec, il est normal d’entendre beaucoup d’anglais et d’autres langues que le français. Si cela plonge certaines personnes dans une forme d’angoisse linguistique (les statistiques démontrent que cela touche davantage les personnes âgées), il est peut-être temps de cesser de confondre insécurité et effacement linguistique. 

Pour véritablement protéger et promouvoir le français, il faut d’abord cesser d’écouter les personnes au Québec qui instrumentalisent cette question en en faisant une arme, un outil politique aux visées douteuses. Ça suffit les attaques gratuites, les doigts pointés avec rage, les récriminations et les accusations. On a besoin de vraies solutions aux vrais problèmes qui touchent la protection de notre langue commune. Humilier les gens qui parlent d’autres langues que le français dans leur vie personnelle ne protège pas le français. Piéger les propriétaires d’entreprises qui ont investi leur argent icisans essayer de comprendre leurs difficultés en la matière est sans doute satisfaisant sur le coup et utile aux faiseurs d’opinions, mais cela ne règle en rien le problème de la survie à long terme du français. Les chefs d’entreprise sont-ils incapables de trouver des travailleurs? Les ressources de francisation et d’intégration font-elles défaut ? Les étudiants étrangers forment-ils le gros du personnel des magasins du centre-ville? Surtout, comment peut-on les aider, employés et employeurs, à communiquer dans un français de base correct?

Cet étudiant étranger et cette étudiante étrangère unilingues qui travaillent à temps partiel au salaire minimum chez Uniqlo et Victoria’s Secret ne comprennent pas ce que vous leur reprochez. Ils ne se sentent pas personnellementconcernés. Il est de notre devoir collectif de les aider, eux et leurs employeurs,à comprendreles enjeux, à maîtriser un français de base acceptable et à en faire une priorité. On prend plus de mouches avec une cuillerée de miel qu’avec un tonneau de vinaigre. Il vaut mieux encourager que pénaliser.

Les solutions pour assurer la protection du français doivent être débattues de façon équitable, transparente, impartiale, sur un ton qui ne soit pas accusateur. Ne laissez pas instrumentaliser l’insécurité linguistique par ceux, toujours les mêmes, qui voient dans chaque difficulté ou obstacle une gifle au visage de tous les francophones, et le coup d’envoi d’une guerre à finir contre le Canada, les anglophones et les allophones. Cette attitude ne profite à personne — et surtout pas à la langue française.

Ne faites pas l’erreur d’écouter seulement ceux qui se posent en sauveurs et défenseurs de la langue française. Nous aussi, nous voulons préserver le français. L’an dernier, Greg Kelley, qui est député libéral à l’Assemblée nationale, a présenté une motion visant à offrir des leçons de français gratuites à tous les Québécois·e·s, ce qui me paraît être une excellente idée. Mais les mesures en ce sens se font attendre. Pourquoi?

Méfiez-vous des politiciens, des censés experts et des commentateurs qui ont des comptes à régler. Il est rare qu’ils s’intéressent aux 364 jours de l’année où les échanges sont harmonieux dans cette province. Ils préfèrent braquer les projecteurs sur la seule journée où le problème se manifeste. C’est ce qui fait les manchettes accrocheuses. La vaste majorité des Québécois francophones, anglophoneset allophones, qui communiquent entre eux tous les jours avec respect et sollicitude, n’est pas assez intéressante pour faire la une des journaux.

Qui a peur de l’OQLF?

Si vous lisez régulièrement mes chroniques, vous savez que je ne suis pas la plus grande admiratrice du ministre Simon Jolin-Barrette. Mais quand il affirme que le français est la langue commune au Québec, et qu’il faut donner à l’OQLF les ressources nécessaires pour en promouvoir l’usage, je n’y trouve rien à redire.

La raison pour laquelle je n’ai émis aucun commentaire lorsque l’Office québécois de la langue française a bénéficié, récemment, d’une hausse de 5 000 000 $ de son budget, c’est qu’il n’y avait pas matière à s’indigner. Pourquoi le fait qu’un important organisme du secteur public obtienne des fonds pour s’assurer que les Québécois·e·s soient servi·e·s dans la langue commune du Québec devrait-il être sujet à controverse? Cela paraît peut‑être un peu déplacé en pleine pandémie, mais il faut savoir que cet investissement était déjà prévu en mars dernier, avant que la COVID-19 ne vienne bousculer nos vies et nos priorités.

Nous avons tendance à l’oublier, et je crains que certains l’ignorent tant il est fréquent que le travail de cet organisme soit détourné à des fins politiques, mais l’OQLF est un organisme public créé par le gouvernement libéral de Jean Lesage. Sa principale raison d’être était — et demeure — la protection et la promotion du français. Cette mission recouvre des fonctions aussi variées qu’établir la terminologie officielle, surveiller la situation du français dans la province, ou aider les propriétaires d’entreprises à se conformer à la législation linguistique en vigueur. Ces fonctions, en soi, n’ont rien de politique ou de partisan.

Malheureusement, le travail efficace et important qu’accomplit l’OQLF est souvent éclipsé par les excès de zèle occasionnels de certainsde ses fonctionnaires et par les avalanches de plaintes nonfondées qui exaspèrent les marchands. Son fonctionnement reposant sur les plaintes déposées par les citoyens, l’organisation court toujours le risque d’être utilisée par des clients mécontents pour régler leurs comptes, tant il leur est facile d’instrumentaliser ce service public pour assouvir leurs rancunes personnelles. Il n’est donc pas étonnant que les données de l’OQLF indiquent qu’une bonne part des plaintes déposées est sans fondement. Quant à celles qui sont jugées recevables, 95 p. 100 d’entre elles sont réglées sans qu’on ait besoin de recourir à des sanctions légales. C’est dire que l’organisme public et les entreprises travaillent le plus souvent main dans la main, et font le nécessaire pour mettre la langue française de l’avant, une collaboration dont la vaste majorité des Québécois n’entend jamais parler.

J’estime néanmoins qu’un peu de diversité ne ferait pas de tort au sein du conseil d’administration de huit membres de l’OQLF. Serait-ce si difficile pour le gouvernement d’y inclure, à tout le moins, une personne qui a déjà reçu, ou dont des proches ont déjà reçu, la visite d’un inspecteur de l’OQLF, ne fût-ce que pour mieux comprendre ce qu’on ressent dans un tel cas? L’ouverture d’esprit, ça doit aller dans les deux sens.

Cessons d’extrapoler et travaillons ensemble

Lors des incessantes querelles linguistiques qui agitent le Québec, le public entend le plus souvent parler d’incidents fortuits, de Pastagates et d’Espressogates, et de cas aussi déplorables qu’exceptionnels de personnes qui ne comprennent pas un mot de français. Et cela fait la une desjournaux, chaque fois avec une grande charge émotive, des unes qu’on brandit comme des armes, tant parmi ceux et celles qui s’obstinent à voir l’OQLF comme une « police de la langue » que parmi ceux et celles qui s’imaginent que les anglophones et allophones du Québec se réveillent chaque matin en cherchant des moyens d’éradiquer la langue française dans une province où, paradoxalement, ils ont choisi de vivre, de travailler, d’éduquer leurs enfants et probablement de finir leurs jours. C’est à croire qu’ils sont aussi bêtes que méchants!

Personne n’est l’ennemi de personne ici, même si ceux et celles qui s’acharnent à fabriquer des crises aimeraient vous persuader du contraire. Les francophones doivent cesser de voir les anglophones et les allophones du Québec comme une menace à la survie de leur langue et l’ennemi à abattre, et les anglophones et allophones du Québec doivent reconnaître avec empathie que le français, au Québec et au Canada, demeure fragile et aura toujours besoin de protection, et ce, en faisant leur juste part à cet égard. ■

Traduit de l’anglais par Pascale Cormier et Johanne Heppell


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